Echo aux nouvelles et joyeuse fête
Bonne Jeanne-Marie Rugira Belle Âme Belle Amie
Voyageuse-solaire Qui pratique l’art d’être humain
Tu nous reviens de ton long voyage Au pays natal
Comment mettre des mots Sur ce que tu as vécu ?
Comment faire écho À ces nouvelles de ta terre ?
I
Sur les photos presque irréelles
Ces tenues traditionnelles somptueuses Cette salle étoilée et ces êtres aériens
Autour de l’auguste Christiane Mujawingoma La-Mère-de-tous La-Mère-bénie
Celle qui est assez fortunée Pour voir se déployer ses enfants
Pour contempler ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants !
On devine les rythmes subtils et les mélodies célestes ! Quelle perfection !
Le temps, suspendu Est habité comme l’espace immuable
Après trois décennies
Fouler à nouveau sa terre natale Quoique repue de sang néanmoins si prometteuse
Retrouver dans leur nouvelle vie Celles et ceux qu’on a laissés
Saluer les anciens en partance Découvrir celles et ceux qui n’étaient pas encore nés
Revisiter dans leur forme actuelle Les lieux habités autrefois
Voir de vieilles photographies de soi Au milieu de sa famille
Où que l’on regarde Voir des preuves de la vie qui triomphe de la mort
Admirer Kigali la capitale du Rwanda Modèle éclatant de résilience
Transmuée en une métropole étincelante Qui tire le reste du pays vers le haut
Qui donne l’espoir à toute l’Afrique Toutefois ne pas s’empêcher de s’interroger
Sur la provenance de l’or du coltan et autres minéraux Qui favorisent la prospérité
Descendre jusqu’à Butare Porte par laquelle on entra jadis dans l’aventure humaine
Alors qu’on a été trop longtemps apatride Être reconnue comme citoyenne du Canada et du Rwanda
Redevenir citoyenne d’un pays au sang neuf Le pays de l’umuganda le travail communautaire bénévole
Un pays où plus que n’importe où sur la planète La femme participe au pouvoir politique
Un pays pour lequel les leaders ont une vision claire Un pays qui a pris un envol fulgurant
Se rendre compte qu’on appartient parfaitement À la culture d’ici comme à celle de là-bas
Sentir que le contact avec la terre des ancêtres Soigne un lieu en soi qu’on ne savait pas souffrant
En trente ans que de métamorphoses ! : Femme noire Citoyenne rwandaise Apatride Résidente permanente Hybride Citoyenne canadienne Et désormais Rwandienne ou Canadaise, Rwandoise ou Québédaise
Mais fondamentalement Personne complexe, personne digne de ce nom qui sème l’amour à tout vent
En même temps
Réintégrer la nature luxuriante et habitée Descendre jusques là où gisent les ancêtres
Vivre à travers les récits colorés émouvants L’absence de celles et ceux qu’on a connus
Se rendre accompagnée de son fils De ses sœurs de sa mère et d’autres proches
Sur le lieu où repose Le-Père L’Immense Rugira Celui-qui-vit-dans-la-parole
Celui-qui-n’est-jamais-mort-tant-il-est-évoqué Rafraîchir la pierre tombale et la fleurir
Rendre sa dignité à l’honorable patriarche Et à travers lui à tous les êtres chers qu’on a perdus
Dans le même mouvement
Célébrer la vie faire la fête Rituel à travers lequel on détruit on partage les biens accumulés
Avec les proches les voisins et même les passants Reconstruisant ainsi le sens menacé
Expérimenter tout cela
C’est avoir le vertige c’est vivre mille vies ! Si tu savais Noble-Dame Artisane-de-la-joie
Combien je suis touché Par ce qui s’offre à toi depuis toutes ces semaines
Par les gestes de vie essentiels que tu poses Ô toi fille première-née
Qui as vécu trente ans en Afrique Et qui auras bientôt vécu trente ans en Amérique du Nord !
À travers ton voyage
Je revis mon retour au Congo mon pays natal Il y a plus de quarante ans
Cette année-là je me suis relié À ma terre à mon histoire, à mes ancêtres à moi-même
Déchiré disloqué J’ai eu la chance de me reconstituer de me réparer
Et je comprends
Que venu le moment de quitter la terre rouge de tes ancêtres Tu marches à reculons
Alors qu’ailleurs des humains sans nombre fuient et se jettent Dans la Méditerranée vorace
Dans l’espoir de gagner l’Europe barricadée pourtant Tant leur pays est devenu inhospitalier !
Et je suis pleinement avec toi Dans cette expérience hors du commun ce voyage inconcevable
Moi Jean Kabuta dit Jandhi Depuis Rimouski-sur-mer notre ville d’adoption
II
Enfant je suis l’Enfant-Terrible Celui-qu’on-ne-dompte-pas Et je fugue dès l’âge de cinq ans
Dans ma quarantaine ma cinquantaine Je combats et triomphe de l’esclavage familial aliénant
Je romps avec la branche de ma famille prédatrice Qui exploite ma vulnérabilité et ma naïveté
Dans ma soixantaine, libéré de mes illusions Je romps avec l’Europe vieillie qui me discrimine
Jadis j’avais déjà rompu avec ma femme blanche Accablée par la détresse quoique musicienne
Je romps avec ma femme-marâtre noire Avec une vie devenue vide au-delà du projet parental
Fondamentalement je romps avec le connu Je romps avec une vieille version de moi-même
Entretemps je traverse la mer je gagne l’Amérique Continent hélas ravi aux Autochtones
J’élis domicile au Canada où je me sens chez nous Où nul ne peut dire à un autre : Va-t’en !
Mon chemin avait croisé celui de La-Métisse-qui-prend-soin La-Noble-venue-du-Rwanda
La-Femme-Amie La-Mère-universelle L’Humaine-excellente qui a comme horizon l’ubuntu
Enseignante-hors-pair chérie de tous Guide qui rend à l’être abîmé sa dignité et sa noblesse
Depuis notre rencontre dans un petit livre C’est l’essor de l’école du kasàlà de Rimouski
C’est l’expression publique de la gratitude de l’émerveillement C’est la pratique de la joie
Ce sont des poésies sans nombre dédiées aux vivants Pour dire les métamorphoses de la vie
C’est aussi l’expression de la colère vitale De l’indignation contre l’injustice et le racisme
C’est le kasàlà engagé énoncé sur l’espace public Qui contribue au changement de la société
Tu excelles dans ce type d’écriture Qui dénonce la violence infligée aux humains à la nature
Femme-remarquable entourée d’admirables alliées Tu combats le féminicide comme le patriarcat
Tu mènes ton combat pour les femmes de toutes couleurs Et tu soutiens une armée d’auxiliaires
Actives au sein du CALACS de la Débrouille De la Fédération des Femmes du Québec et ailleurs
Les religieuses d’Amérique et d’ailleurs te sollicitent pour les aider À mieux se prendre en mains
Les nations autochtones te sollicitent pour animer leurs lacs à l’épaule Afin de mieux s’organiser
Tes œuvres sont puissantes et nous sommes admiratifs Devant l’ampleur de ton engagement social
Nous sommes là ce soir dans ce lieu chaleureux appelé Ibuntu Pour te célébrer et te dire notre joie
Pour te souhaiter un bon retour dans ton pays Dans cette Rimouski où poussent tes nouvelles racines
Nous venons te souhaiter un joyeux anniversaire Grande Dame ! Joyeux anniversaire et longue vie !
Comme l’a dit l’autre Jean Nous venons aussi avec nos oreilles grandes ouvertes
Nous souhaitons nous offrir Un moment d’écoute et d’échange avec toi
Autour de ton expérience unique Attendue depuis si longtemps